Dans l’ombre de Boston

Je ne sais pas si je suis la meilleure pour écrire cela. Comme ma mère m’a dit, « Tu sais ce que c’est ton problème, Charity ? Tu n’as pas une mentalité américaine ». Elle a raison car il est vrai que je ne me sens pas vraiment une américaine typique, en effet je crois que ma mère voulait dire que j’ai un point de vue mondial plutôt qu’une adhésion au soi-dit «American Exceptionalism», c’est-à-dire la conviction selon laquelle les Etats-Unis sont le seul pays qui protège la liberté et diffuse la démocratie dans le monde entier. Mes idées parfois s’opposent à cette attitude, car je suis encline à l’ouverture par rapport au débat et à la confrontation avec les idées d’autres pays et cultures, je suis plutôt à l’aise avec les étrangers ou quand – moi la première – je suis etrangère à l’étranger. En réalité, il serait plus exact de dire que j’ai la mentalité d’une immigrée dans mon propre pays. Dans la critique de ma mère, j’entends l’écho de « Mccarthyisme », connu également comme la « Peur Rouge » des années ’50 avec ses accusations d’activités « Un-American », une sombre période dans notre histoire où le droit de mettre en question la politique de ce pays a été supprimé par crainte du communisme, symbolisé par l’autre chez nous, au détriment d’un monde meilleur. Romain Gary a écrit que «le patriotisme, c’est d’abord l’amour des seins, le nationalisme, c’est d’abord la haine des autres». Souvent, j’ai peur qu’on oublie cela. Moi, je suis d’accord avec Camus qui avoua, «ma patrie c’est la langue française». Néanmoins, cet article n’est pas une enquête sur l’identité, mais une tentative d’interpréter les événements des jours récents de la part d’une plume qui peut être aussi en désaccord avec sa propre culture. Pour le procès, je suis une pacifiste: je ne défends la violence, je cherche à la comprendre.

Les attentats du marathon de Boston du 15 avril ont été affreux, horribles. Ce jour là et les jours suivants ont été récouverts par une couche d’irréalité pareille à l’état du monde après l’Onze Septembre. Le choc, l’horreur, mais aussi le sentiment de communauté qui n’est pas si fréquént ici. Plusiers histoires dans la tragédie ont été touchantes: des personnes qui après l’attentat ont envisagé le risque sans se cacher pour aider les blessés. Des coureurs qui se sont sauvés ont couru directement à l’hôpital pour donner leur sang, ces courses ont été plus longues que les 42.195 km d’un marathon traditionnel. Ils ont répondu avec énorme courage et un tel héroïsme qu’ils sont devenus l’inspiration pour nous tous. Je me mets en colère quand je vois tout les dégâts parmi les drapeaux qui sont placés près de la ligne d’arrivée, car ils représentent la fraternité entre les participants; un marathon pour célébrer la détermination de l’esprit de homme. Car, même s’il y a toujours un gagnant, le coureur se bat toujours contre lui-même d’abord. Et je ne veux pas prendre légèrement les événements, mais j’ai été horrifiée par l’utilisation des cocottes-minute pour faire les attentats. Parce que pendant trop d’années, ici, elles ont eu la réputation d’exploser à la cuisine, une réputation qui a commencé finalement à diminuer. Pour moi, les cocottes n’étaient pas simplement des casseroles pratiques, elles étaient la mémoire de la soupe verte fabriquée par la mère de ma famille française, adoptée mais bien aimée. Ce n’est pas une soupe que je pourrais refaire, mais elle a un goût de la maison. Je déteste l’idée que dorénavant on pensera aux frères Tsarnaev quand on entendra le mot si familier de cocotte-minute.

Ici – peut-être dans le monde entier non plus – quand on voit les photos et les vidéos de ce jour à Boston, on pense immédiatement à l’11/09/2001 et ainsi les souvenirs de la chute des Tours résurgissent. Un des livres plus bouleversants sorti just’après le Ground Zero – dont malheureusement je ne me souviens plus le titre – affichait seulement les photos de personnes qui regardaient les débris de la chute. L’émotion de leurs visages me donne les frissons quand j’y pense, même aujourd’hui. Chaque Américain se souvient comment on a appris le drame. Je donnerai plusieurs exemples.

La librairie où je travaillais était connue comme l’ONU du centre commercial où elle se trouvait parmi d’autres boutiques. On a reçu cet appellatif car il y avait plus d’une dizaine de pays représentés parmi les employé(e)s. Donc, on pouvait s’échanger opinions sur les évènements, en discuter ensemble, approfondir et après transmettre nos élaborations aux clients. On n’était pas tous seuls, sans informations ou réconfort.. On vendait aussi les disques: la musique classique, le jazz, mais surtout les artistes internationaux. On en jouait une sélection au magasin et chaque libraire avait sa playlist préférée. Un de mes camarades est Iranien, il était un peu en retard ce jour là et quand il est arrivé il a remarqué que la musique avait été coupée (après l’attentat on n’a plus joué de la musique pendant une semaine et quand on a recommencé on passait la musique de Leonard Cohen), donc il a  mis le disque de Buddha Bar avec les chansons en arabique. Il n’a pas pensé que cela pouvait être choquant car quelqu’un lui avait dit que les  terroristes étaient des communistes, cela voulait dire les Russes, les coupables. Ce renseignement mal fondé nous apprend quelquechose encore aujourd’hui: les rumeurs se répandent trop facilement et il est important, aujourd’hui plus que jamais, de ne pas accuser sans preuve. En 2001, une autre collègue, une Russe, était en train de retourner chez ses parents en Sibérie pour les vacances. Son avion venait d’atterir à Moscou quand la première Tour est tombée. Elle a dû prendre un autre avion pour traverser la Russie, sans savoir le changement définitif du monde lors de son débarquement et après sans savoir si elle aurait été autorisée à rentrer aux Etats-Unis. Elle est morte maintenant, mais elle aurait eu horreur de ces frères qui, par leurs actions, auraient attiré la curiosité indiscrète des américains envers son pays, son passé et sa vie privée. Et moi, j’ai passé le jour chez ma sœur cadette. Trois jours avant elle avait accouché son première enfant, j’étais dans la salle de l’hôpital quand ma nièce naissait, et le jour suivant j’étais chez ma soeur pour leur rendre visite, faire le ménage, laver des vaisselles et pour me prendre soin d’elles, de ma soeur et son bébé. Alors, j’ai passé le jour avec ma toute petite nièce dans mes bras en regardant la catastrophe dépliée: la fin d’un monde. J’étais rentrée aux Etats-Unis seulement deux mois avant, je revenais d’une periode de cours à l’école culinaire de Paris et je ne m’étais pas encore rehabituée à la vie ici. Enfin, après l’Onze Septembre j’ai compris que je ne me serai jamais réhabituée: le monde a changé dans un instant et il n’aurait jamais plus pu être le même. J’ai su que ma nièce n’aurait pas connu un monde différent, un monde dépourvu de cette tache. 

Aujourd’hui, le calme mesuré et la réponse de ce président à l’atténtat de Boston me semblent différents, cependant. Il n’y a pas eu la frénesie pour blâmer un ennemi certain et j’ai pu m’apercevoir de la lutte contre le désir des médias d’agiter les téléspectateurs. En faites, on a assisté à l’échec du média traditionnel, sans compter que la plupart des nouvelles ont parues sur internet – surtout à travers twitter – avant qu’en télé. Ces enjeux racontent comme le monde a beaucoup changé en douze ans. Dans la semaine de l’attentat de Boston, ils se sont suivis d’autres faits incroyables et graves: on a vu l’échec de la législation sur le contrôle des armes, les explosions en Texas, les lettres contenantes le poison ricin (quand le premier suspect de cet empoissonnement a été interrogé, il a répondu de manière typiquement américaine – il a dit qu’il ne connaissait pas ce poison et qu’il ne mange pas le riz – pauvre con!) et la réponse extrême de la police dans la chasse aux frères Tsarnaev, qui ont les visages si jeunes, mais si jeunes. L’action a réussie, mais la décision de fermer et encercler une ville entière pour la chasse à un seul homme est insupportable selon moi. Je ne nie pas l’efficacité de l’opération policière pendant le « lockdown » mais je suis inquiète sur le précédent que cette manoeuvre a créée: on ne regagne plus les libertés auxquelles on renonce en les remettant à l’Etat. On ne peut pas continuer à donner des réponses de sécurité conçues avec ces méthodes. On ne doit pas oublier que cet homme, Djokhar Tsarnaev, est américain et en étant citoyen il faut lui accorder tous les droits connexes. Aux États-Unis on oublie que les attentats et la guerre sont une partie de la vie d’autres pays, cela ne vaut pas dire qu’il faut pardonner ou ne pas faire justice, au contraire on doit absolument travailler pour arrêter cette violence, entre autre ces moyens ne peuvent pas nous faire sentir moins terrorisés, de plus la violence extrême comme réponse à la violence extrême exclut la compréhension des problèmes et fait accroître la peur. Adam Gopnik dans son article pour le New Yorker Magazine de cette semaine a dit avec des mots plus clairs des miens: « What terrorists want is to terrify people; Americans always oblige».

J’espère que mon président permettra à mon pays d’examiner avec lucidité ces événements et comment on y est arrivé, et qu’il nous permettra de nous poser des questions et de formuler des réponses, de les trouver dans nous-mêmes quant à la manière de devenir un peuple meilleur et développé, même dans la lutte au terrorisme. Je pense sincèrement qu’on a l’occasion de répondre à nouveau au monde. Parce que après l’Onze Septembre, on a perdu la bonne volonté et le respect du monde avec la hâte d’entrer en guerre. J’étais encore à Paris les jours avant la guerre en Irak. J’ai marché dans la manifestation de 15 février contre cette guerre. J’ai vu les placards avec des slogans qui disaient que ce refus de participer n’est pas contre le peuple américain, mais plutôt contre sa politique. Il s’agit du courage de l’amitié qui est obligée de reconnaître quand l’autre est en train de commettre une grosse faute et donc de ne pas l’approuver ni de le réjoindre. Personnellement, pendant mes séjours en France, il ne m’est jamais arrivée de subir un acte de haine contre moi en raison de ma nationalité américaine, ni j’ai été témoin de gestes de haine contre mon pays. Pourtant, j’ai dû voir mon gouvernement qui voulait changer l’appellation des frites, de « french fries » à « freedom fries », et les français qui répondaient « mais les frites ont une origine belges ». Et maintenant, avec ces attentats affreux, on se trouve à nouveau à réexaminer notre politique et notre place dans ce monde. Il faut essayer. Dans les mots de Leonard Cohen, un homme qui m’inspire avec ses mots pleins de grâce, j’y trouve une prière de l’esprit pour Boston et nous tous, « Don’t really know who sent me to raise my voice and say: May the lights in the Land of Plenty shine on the truth some day ».

Je ne sais pas vraiment qui m’a envoyé pour que j’é-lève ma voix pour dire: Puissent les lumières dans le Pays de Cocagne briller sur la vérité un jour

Charity Bliss

Avec la participation amicale de Laura Testoni

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