Sankta Lucia, mirage lumineux

Ma sœur a été adoptée à sa naissance. La seule chose que l’infirmière dit à ma mère sur sa mère biologique, c’est qu’elle était suédoise. Et comme tous les parents respecteux qui adoptent des enfants avec une patrie qui vient d’ailleurs, elle voulait que ma sœur grandisse avec une connaissance de cette culture. Quand j’étais née huit ans après, elle faisait la même chose pour moi avec ma grand-mère écossaise. Mais ma mère n’avait pas une grande connaissance de ces cultures, donc on grandissait avec les versions américaines. Pour ma sœur, c’était les harengs marinés et des boulettes de viande, bonbons gommeux en forme de poisson (ici, on les appelle « swedish fish candy »), et bien sûr les contes de Fifi Brindacier (Pippi Långstrump)pippi d’Astrid Lindgren, la musique d’Abba les visites chez Ikea. Pour moi, c’était les poupées en plaid, le thé et les biscuits de sablé. J’ai profité de la culture de ma sœur, lorsque j’ai su qu’elle n’était pas la mienne, mais, comme ma sœur a été adopté, je pourrais l’adopter son histoire et la partager. Des années plus tard, on trouverait les aspects différents de ces cultures dans les polars de Henning Mankell, Stieg Larsson, Ian Rankin et l’esprit âpre de Muriel Spark.

Et donc j’ai grandi dans une culture qui n’a jamais été vraiment la mienne. J’aimerais penser que c’était cette expérience qui m’a laissé adopter la culture française des années plus tard, et qui m’intéresse dans les autres cultures du monde: leurs langues, littératures et cuisines. Je peux les apprécier et les appartenir sans avoir une ligne de sang. Les lignes comme cela ne m’intéresse pas; quand on partage nos histoires et cultures le monde devient plus petit, mais beaucoup plus enriché.

Des années plus tard ma sœur a trouvé ses parents biologiques et a établi une relation avec eux. Elle a été surprise de découvrir qu’elle n’avait aucun lien avec la Suède, qu’elle n’était pas suédoise du tout. Ce que cela signifie lorsque nous grandissons dans une culture qui n’est pas la nôtre, qui n’a jamais été, mais qui appartient toujours à nous en quelque sorte?

Aux états-unis, on dit souvent que c’est un pays qui s’agit d’un « melting pot », un sort de creuset d’un pays, ou chaque famille vient de quelque part. Et c’est assez vrai. On rammasse les autres cultures comme des oiseaux, on ajoute des épices et histoires d’ailleurs et on avait crée un nouveau pays et culture. Récemment on a fêté le jour de Thanksgiving, la journée dédiée au grand repas de dinde et l’action de grâce. On souvient la bonté des peuples amérindiens aux premiers jours de ce pays, bien avant que c’était un pays, mais un refuge pour ceux qui cherchaient la liberté et une nouvelle vie. Chez moi, le repas de Thanksgiving a devenu pendant des années un peu comme une auberge espagnole: tout le monde apporte leur plats préférés. La table déborde avec la dinde traditionelle, une purée de pommes de terre à la Joel Robuchon et les sauces françaises, les boulettes de viande à côté de poulet « adobo » aux philippines, un chou rouge braisé dans un style allemand, les tortillas et salsas mexicaines, les olives marinées, la sauce à la menthe, les patates douces avec ananas et guimauves (la spécialité de ma sœur). Pour dessert, le cheesecake, ma tarte au chocolat et framboises, le pumpkin pie. Le seul thème est que chacun apporte un plat de sa propre culture, de sa culture choisie.

La même semaine il s’agit d’une autre fête dans ma ville, dont j’ai découvert il y a dix ans et qui est devunue une partie de mes traditions et une sorte de lien entre des fêtes de Thanksgiving et Noël: le festival de la Sankta Lucia, un moment de paix et réfléxion au rétour du soleil, que l’hiver viendra à sa fin. Oui, je sais bien que le jour de la Sainte-Lucie est le 13 de Decembre, mais il existe un petit groupe de scandinaves, dont la plupart sont suedois, qui organise cette fête de Noël chaque année et avec laquelle je participe avec joie, comme si c’était une partie de ma culture, parce que bien sûr c’est vrai. C’est donc sans surprise que je me retrouverais avec une tradition de la fête de la sainte Lucie, un Noël suédois que j’ai adopté dans le cadre de mes traditions des fêtes, et que je partage avec ma famille et mes amis des origines diverses, qu’ils soient français, danois, allemand, « suédois », écossais, philippins ou américain. Entouré de langues de différents pays scandinaves : suédois, danois, norvégien, finlandais…, et parfois des autres, je me sens à l’aise.

20131124_125253Les repas en offre a une sensation familière, comme des repas dont Babette aurait mangé sans plaindre pendant ses années en exile avant sa grande fête (approfondir ici): les boulettes de viande, les harengs marinés, betteraves, pommes de terre, concombres, les gâteaux qui ont le saveur du pouding au riz servi pour Noël, le Lussekatt (des brioches au safran) et le glögg, un vin chaud à la cannelle auquel on ajoute des amandes et raisins secs.

Il y avait aussi la procession de Sainte Lucia, complete avec les enfants qui portent des couronnes de bougies qu’ils auront fait leur chemin vers la scène en chantant les chansons traditionnelles, surtout la chanson napolitaine Santa Lucia, ou « Sankta Lucia » en le suedois, dans une langue qui s’adresse à eux d’une autre culture, à la fois leur patrie et encore appartenant au passé.

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Charity Bliss

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