Babette’s Feast et la grâce dans la cuisine

Je suis au café pour écrire cela. Assise à la table avec moi sont une amie danoise et son mari mexicain-américain, ouvert sur mon ordinateur est un flux de messages en français avec l’amie italienne dont je suis en train d’ouvrir ce blog. Ajouter plusieurs copains de pays et langues divers et je serais dans mon élément; un mélange mondial, la vie en multiple, quoi. En lisant Babette’s Feast par Isak Dinesen, pseudonyme de la Baronne Karen Von Blixen-Finecke, j’ai eu l’impression que, meme pour elle, c’est l’environnement qui entoure qui plus résonne. Née à Danemark en 1885, Dinesen était partie pour l’Afrique après son mariage en 1914. Six-sept ans plus tard, après son divorce et l’échec de la plantation de café du couple, elle est rentrée en Danemark où elle a publié ses livres écrits en danois, français et anglais. Je me suis aperçue du sentiment d’être étrangère dans ses nouvelles, de plus, de quelqu’un qui, après avoir vécu ailleurs revient à son propre pays et ne trouve plus sa place. Elle écrit d’autres pays, cultures, langues, des émigrés et réfugies, des personnes éloignées de leurs anciennes vies et qui ne pratiquent plus leurs professions. Parfois elle juge avec un regard sévère lesquels qui ont resté.

Babette’s Feast, un grand classique de la littérature culinaire n’est pas vraiment un essai de cuisine mais un discours sur la vision artistique, l’étrangèté, la grâce, la fidélité au soi et de la vie dont qu’on a quitté pour une autre. Avec une sensibilité scandinave et un emplacement norvégien, Dinesen raconte l’histoire de deux sœurs, vieilles filles d’un pasteur strict et protestant, leur femme de ménage française et un diner transcendant. Babette arrive à la porte des sœurs un soir accompagnée par une lettre d’un grand chanteur d’Opéra, un ancien ami des sœurs. Elle était une Communarde qui a perdu son mari et ses fils aux barricades et, comme on lit dans la lettre, elle sait cuisiner. Les charitables sœurs lui donnent refuge mais elles se méfient de sa francité, de sa religion papiste et l’instruisent à cuisiner selon un austère style norvégien: la soupe de la bière et du pain avec une simple morue salée. Babette apprend leurs instructions sans expression, ni mot. Quand, 12 ans plus tard, elle gagne une fortune, 10.000 francs à la lotérie, elle demande aux sœurs de pouvoir préparer un dîner français pour fêter l’anniversaire en commémoration du pasteur. Les sœurs, convaincues que Babette repartiras à Paris, donnent leur agrément. Mais quand le grand jour s’approche – vu que les préparatifs de Babette deviennent plus et plus élaborés – elles craignent que la soirée sera une catastrophe ainsi elles confient leurs peurs à la secte des invités. Alors, ensemble ils décident de ne pas commenter le dîner, en faites de ne rien gouter. Le seul qui remarquera la cuisine de Babette est le Général Loewenhielm qui 27 ans auparavant avait été amoureux d’une des deux sœurs, pourtant il avait changé son destin obtenant un grand succès, bien qu’enfin il se sentait plutôt mécontent de sa vie. Seulement lui, une fois, dîna au glorieux restaurant Café Anglais, s’émerveillant de sa cuisine et de l’histoire de son chef. Il n’avait jamais plus oublié le repas: un divin Amontillado, le Champagne, une exquise Soupe de Tourte, les Cailles en Sarcophage.

En revenant à la soirée de Babette, les invités se tiennent à leur décision et ne font aucune attention au repas, plutôt ils se passionnent de la conversation, entretenue avec un style soutenu et élégant, autour de l’âme, de la grâce « qui ne demande rien de nous sauf que nous l’attendons avec confiance et la reconnaissons avec gratitude. ». Le repas a l’air de l’éternité. Juste après le dîner, les sœurs remercient Babette et c’est dans cet instant qu’elles se rendent compte que Babette n’a pas touché son dîner. Elles profitent du moment pour lui demander de son retour en France. Mais en réalité, à leur surprise, elle n’a aucune intention de partir, entre autre elle a épuisé entièrement l’argent qu’elle avait gagné. Babette leur avoue d’avoir été un grand chef et que dans son restaurant, le Café anglais, un diner pour douze personnes aurait couté 10.000 francs.

Les sœurs restent bouleversées par le choix de Babette de dépenser tout l’argent pour le repas, pour leur plaisir. Babette répondra qu’elle l’a fait pour elle-même, car une grande artiste a besoin de la liberté de suivre ses propres désirs.

Pour dire que cette nouvelle me touchait en relisant, est de diminuer sa puissance. Elle me permet de m’interroger à propos de certaines intéressantes questions: l’idée du retour en patrie en est une, l’intention de l’art une autre. Car il y a toujours quelque chose qui change dans nos souvenirs. J’ai lu Babette’s Feast (en anglais) pour la première fois il y a quinze ans à peu près et successivement j’ai regardé le film danois aussi. L’image de l’artiste fidèle dans son âme à son art au-delà de la pratique – une étrangère qui sert un grand diner pour quelqu’un qui ne peut pas l’apprécier au fond mais qui tout de même peut être soutenu par la grâce et le plaisir – restera toujours en moi. Mais j’ai oublié que les plats ne reçoivent pas plus qu’une courte description.

Dans mes souvenirs ce livre contient les descriptions d’un repas somptueux; il m’a donné envie d’étudier la cuisine classique. Il n’a pas été en raison de cette œuvre, mais moi aussi j’ai suivi des cours de cuisine et pâtisserie à Paris; même si aujourd’hui je ne pratique pas ce que j’ai appris comme j’aurais voulu. En revenant aux États-Unis après mes études culinaires, j’ai éprouvé un véritable choc: de cuisine, la langue, la culture, les coutumes de mon pays, tout, me semblait différent. Évidemment, ce n’était pas la vie américaine qui avait changé, mais moi. Quelques mois plus tard le monde aurait changé pour toujours avec l’onze de Septembre, mais ça, c’est une autre histoire.

J’imagine Dinesen se regarder autour d’elle après son retour en Danemark, je la vois gouter des plats simples après s’être accoutumée aux épices d’Afrique. Lorsque je cuisine un grand repas – surtout pour ceux qui n’apprécient pas à la même manière que moi la relation entre chaque saveur et le goût et la délicatesse de la cuisine – je me souviens que le but de la cuisine (autant que pour l’art) c’est de soutenir l’âme.

Les invités au dîner de Babette sont inspirés par la légèreté de la cuisine, les saveurs justes, mais ils n’ont pas besoin de comprendre les machinations. Récemment – il me semble – on a la tendance à croire de devoir tout comprendre: la cuisine, le vin, l’art, la littérature, la musique, la culture, les langues, les philosophies. On détruit le mystère. Ici, dans cette nouvelle, Dinesen, au contraire, nous rappelle l’importance de tout mystère dans la vie.

Charity Bliss

translated into English by Charity Bliss: Babette’s Feast and grace in the kitchen

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