Là, où la cuisine enlève le deuil

Pour reprendre notre discours autour de la littérature culinaire ou comment la cuisine traverse la littérature et donc, la vie, on tourne maintenant vers Japon et vers le livre Kitchen de Banana Yoshimoto. Son premier livre, il a été publié en 1988 quand Yoshimoto avait seulement vingt-trois ans. Traduit du japonais par Dominique Palmé et Kyôko Satô, ce beau petit livre a sorti en France en 1994. Avec son style simple et réservé, cette histoire s’agit de la douleur, la perte et le deuil, mais aussi de la renaissance, la chance de vivre une nouvelle vie et de la joie qu’on trouve dans les petits moments, surtout lesquels trouvés à la cuisine.

« Je crois que j’aime les cuisines plus que tout autre endroit au monde. Peu importe où elles se trouvent et dans quel état elles sont, pourvu que ce soient des endroits où on prépare des repas, je n’y suis pas malheureuse. »

Ici, la narratrice, Mikage Sakurai, trouve sa place dans le monde par rapport avec les cuisines, les repas aussi bien comme les endroits, et par la grâce, la gentillesse et la bienveillance des autres : la famille Tanabe. Mais ce n’est pas une famille comme toutes les autres.

Mikage décrit le moment quand le fils, Yûichi, l’invite à s’installer à la maison « comme toujours quand je me sens ensorcelée, un chemin se dessinait devant moi, dans l’obscurité. Il me semblait luisant de blancheur, et si sûr que cette réponse m’était venue tout naturellement. » La lumière et les chemins sont trouvés partout dans ce roman, aux moments quand notre protagoniste doit prendre une décision. C’est une sensation j’éprouve souvent. On la trouve encore à la rencontre de la mère de Yûichi, une « aura de lumière qui émanait » d’Eriko. En écrivant cela, je me sens presque honte à noter qu’Eriko est transsexuelle, même si c’est une partie de l’histoire, comme si ce n’est pas mon secret à dévoiler. Elle est si grâceuse et vivante, réelle et honnête.

Après la morte de sa grand-mère, qui lui avait élevé après les mortes successives de ses parents puis son grand-père, les Tanabe accueillent Mikage dans leur maison, et là, elle est libre à suivre ses intérêts et sa passionne. Elle commence à apprendre la cuisine, dans la cuisine, toute seule avec ses livres. Les répétitions, les repas ratés et refaits plusieurs fois, jusqu’à la réussite. La précision dans la cuisine comme dans la vie. Yoshimoto écrit : « Il m’a fallu du temps avant de réussir certaines recettes : omelettes garnies d’une foule de bonnes choses, plats en sauce joliment présentés, tempura… Mon côté mal dégrossi me jouait bien des jours ; jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse devenir un tel handicap à la gastronomie. Je n’avais pas la patience d’attendre la température idéale de cuisson, je ne prenais pas le temps de faire réduire une sauce, et tous ces petits détails, qui me paraissaient insignifiants, se répercutaient immédiatement, à ma grande surprise, sur la couleur ou la forme des mets obtenus. S’ils s’apparentaient tant bien que mal à de l’honnête cuisine familiale, ils ne rivalisaient jamais avec les magnifiques photos de mes livres. »

Mais petit à petit, Mikage apprend les leçons de cuisine, la patience aussi. Certaines recettes elle connait par cœur, car c’est avec son cœur qu’elle fait la cuisine. « Et pourtant, quel bonheur cet été-là, dans la cuisine ! Je n’avais peur de rien, ni de me brûler, ni de me couper, même les nuits blanches ne m’étaient pas pénibles… Chaque jour, je tremblais de joie à l’idée que le lendemain allait venir, me permettant de relever de nouveaux défis. Dans la tarte aux carottes dont je connaissais la recette par cœur s’étaient glissés des éclats de mon âme, et j’aurais donné ma vie pour des tomates vermeilles que j’avais trouvées au supermarché, tellement je les aimais. J’avais goûté ainsi les vrais plaisirs, et je ne pouvais plus revenir en arrière. »

Oui, quel bonheur!

Par la fin de l’été, Mikage prend un poste comme « assistante de la spécialiste de gastronomie » d’une grande école de la cuisine et qui présente une émission de télévision. Je pense à Bon Appétit Bien Sûr de Joël Robuchon ou The French Chef de Julia Child. Ce n’est pas une école pour les itamae, les chefs du sushi, car au Japon, les femmes ne sont pas autorisées à suivre le parcours standard en devenant un itamae. L’apprentissage commence avec le riz et peut durer vingt ans. Quand même, avec son travail, Mikage donne forme aux compétences qu’elle avait pratiqué tout l’été. Et finalement, elle trouve la force pour commencer sa vie. Elle quitte la maison Tanabe, mais après un moment tragique, c’est Mikage qui a les réserves de force intérieure et qui pourrait finalement aider lui-même et des autres quand ils en ont besoin. Grâce à ses leçons chez les Tanabe et de la cuisine. Je pense à un bol de katsudon particulièrement réparateur et magique. Et d’une nuit pleine des étoiles étincelantes.

Ce sont des liens qu’on crée avec les autres dans nos vies, qui nous donnent la force à continuer. Je pense aux mots dont Laura a écrit dans son article sur Odette Toulemonde (ici), des liens et les étoiles filantes : « Pour les deux – sur deux dimension parallèles – se passent des moments inattendus, libres, inexplicables. Les deux participent d’une nouvelle vie, l’expérimentent, et ils s’y trouvent ensemble en raison de ce mystère qui est le temps: deux temps – deux existences – qu’à un certain moment se rencontrent dans la même conjonction. La convergence dans un point commun à partir de deux extrêmes. Comme les trajerctoires de deux étoiles filantes qui tombant se croisent. »

Et comme dans l’histoire d’Odette, Yoshimoto nous rappelle qu’on trouverait ces trajerctoires aux endroits et gens imprévus, dans une maison kitsch ou d’une cuisine qui attend enfin son chef. Ces deux livres racontent les histoires complèmentaires : du bonheur, de la réprise de l’âme et de l’amour grâce à la liberté de soi ; même quand parfois la vie présente des limites, on est tous capables de créer quelque chose de beau.

Charity Bliss

traduction en italien de Laura Testoni: Laddove la cucina rimargina il lutto

Leave a comment